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Sans trop d’espoir puisque le lustre aux cristaux anciens avait disparu, Aldo chercha le commutateur et, à sa satisfaction, alluma une ampoule solitaire au bout de son fil. En même temps, il déclarait calmement :

— Si vous cherchez un objet à voler, vous venez un peu tard !

Pas le moins du monde effrayé par les armes braquées sur lui, l’intrus leur fit face, leur permettant de constater que sa main laissée libre par la lampe tenait un browning, qu’il remit aussitôt dans sa poche.

— Je vois, répondit-il sans plus s’émouvoir. Je ne pensais pas que c’était à ce point-là !

Son flegme sentait la Grande-Bretagne… comme son costume de sport – pull noir à col roulé, veste et « knickerbockers » en tweed gris – coupé visiblement outre-Manche. On aurait pu le prendre pour un Anglais s’il n’avait parlé un français dépourvu d’accent, sinon celui de la distinction. C’était un grand garçon d’environ vingt-cinq ans, plutôt filiforme, présentant un visage aux yeux bleus, francs et bien ouverts, aux traits nets, et une bouche agréable dont les coins naturellement relevés plaidaient pour un caractère aimable. Si l’on y ajoutait le foulard de soie noué lâchement afin de pouvoir y dissimuler le bas de la figure – et signé Hermès ! –, on pouvait penser que c’était là un bien curieux cambrioleur.

— Qu’espériez-vous trouver ? demanda Aldo en rengainant lui aussi son artillerie.

— De très belles choses…

Et il se mit à détailler l’un après l’autre les meubles et œuvres d’art qui composaient naguère encore le salon, prouvant ainsi qu’il avait dû y venir plus d’une fois.

— Mais enfin, qui êtes-vous ? s’impatienta Adalbert.

— Excusez-moi ! J’aurais dû me présenter, fit l’étrange garçon avec un sourire en demi-lune. Je m’appelle Faugier-Lassagne, substitut du procureur au parquet de Lyon.

S’il pensait faire son effet, c’était réussi.

— Ah, bon ! émit Aldo. Et c’est à la faculté de droit que l’on apprend à ouvrir les portes fermées et à visiter de nuit les maisons dont les propriétaires sont absents ?

— Non. Je le devrais plutôt à la fréquentation des prisons, mais j’avoue que c’est un modeste talent dont je suis assez satisfait. Au fait, je ne vous demande pas de vous présenter. Vous, vous êtes le prince Morosini et vous, son autre lui-même, M. Vidal-Pellicorne, égyptologue distingué.

Et comme ils le considéraient sans rien trouver à dire, il ajouta :

— Je vous ai vus plusieurs fois en photo. Et je dois préciser que mon prénom est François-Gilles : je suis le filleul de M. Vauxbrun.

— Par tous les saints du Paradis, pourquoi ne m’a-t-il jamais parlé de vous ? s’étonna Aldo.

— Oh… j’étais en quelque sorte son jardin secret. Nous nous écrivions et je venais le voir de temps en temps.

— … et il allait vous voir à Lyon ! compléta Aldo dont le regard s’attachait à ce visage venu de nulle part et qui, cependant, lui semblait devenu curieusement familier.

— Le moins possible ! Il… il était fâché avec mon père et vous savez comme nous sommes, nous autres Lyonnais ? Un peu rancuniers !… À présent, j’aimerais continuer d’explorer ce… désert ?

— Si vous le voulez bien, nous allons effectuer cette opération de concert…

On parcourut ainsi le rez-de-chaussée, le premier et le second étage. C’était partout le même vide, le même abandon, les mêmes papiers froissés mêlés à de la paille. Morosini en aurait pleuré de rage en passant une main sur les rayons vides de la bibliothèque où s’étaient alignées la collection havane et or des œuvres ayant appartenu au duc d’Orléans, le prince régicide, ou celle de la princesse de Lamballe, l’amie massacrée de Marie-Antoinette, tous ouvrages frappés à leurs armes… Dans la chambre de l’antiquaire, le coffre-fort, installé dans un mur et sous un portrait d’enfant de Greuze, bâillait, largement ouvert sur le vide…

— Que cette femme ait tous les droits, j’en conviens, ragea Aldo, furieux. Mais il ne me semble pas cependant qu’elle ait aussi celui de livrer la maison aux vandales ! Qu’en pensez-vous, Monsieur Faugier-Lassagne, vous qui êtes juriste ?

— Pareil que vous. C’est une honte mais on n’y peut rien.

— Ne croyez-vous pas qu’on en a assez vu ?

— Non. Je veux tout voir. Y compris les sous-sols !

Par extraordinaire, la cuisine et l’office étaient intacts.

On n’avait enlevé ni l’une des étincelantes casseroles de cuivre, ni une petite cuillère, ni même les pots de faïence contenant le sel, la farine, le café. Des tasses dont on s’était servi étaient même restées sur la longue table de chêne. Adalbert pencha dessus un nez curieux mais s’abstint d’y toucher :

— Je me demande si l’on ne devrait pas les porter à Langlois pour qu’il relève les empreintes digitales. Ceux qui ont fait tout ce beau travail ne sont sûrement pas des déménageurs patentés.

Il y avait également des verres sales et les cadavres de trois bouteilles de chambertin.

— Allons voir ce qu’ils ont laissé dans la cave ! Vauxbrun en était justement fier…

Mais là aussi, c’était le même spectacle de désolation. Sous les belles voûtes rondes d’un ancien cellier, les casiers de briques étaient inoccupés. On n’avait pas non plus oublié les tonnelets. Il ne subsistait qu’une grosse barrique. Sans doute parce qu’elle était à sec ou presque, le robinet de la bonde, ouvert, ayant laissé dégoutter une flaque rougeâtre.

Les trois hommes parcoururent les deux caves identiques, et celle où l’on entreposait les bouteilles vides et le matériel du sommelier. Au fond se trouvait une porte de fer à demi cachée par un porte-bouteilles en forme de hérisson permettant le séchage après lavage.

— Qu’est-ce qu’il peut y avoir là-dedans ?

— Je ne sais pas, dit le jeune substitut. Je n’ai jamais visité cet endroit… En plus, c’est fermé par un cadenas qui n’a pas l’air vieux.

— Vous sauriez peut-être l’ouvrir, Monsieur le substitut ? ironisa Adalbert.

— Ma foi non, les cadenas, ce n’est pas de mon ressort !

— En ce cas, je peux essayer…

Et, tirant de sa poche un étui contenant divers petits outils, il en choisit un, remit le reste dans les mains d’Aldo et se pencha sur le cadenas… qui céda sans se faire prier sous les yeux admiratifs du dénommé François-Gilles !

— Dites donc ! Vous êtes un maître, vous ! Je meurs d’envie de vous demander des leçons ! Je n’aurais pu imaginer que…

— Quand on est archéologue, il faut avoir plus d’une corde à son arc. Vous n’avez pas idée des astuces déployées par les anciens Égyptiens pour dissimuler leurs momies… ou leurs trésors.

— Il y avait déjà des cadenas ?

— Oh, vous savez, sur les chantiers, on trouve de tout ! répondit Adalbert, désinvolte, tandis qu’Aldo, amusé, glissait :

— Vous pourriez vous associer dans certaines circonstances ?

L’envie de rire ne dura pas longtemps. La porte ouvrait sur un réduit sans éclairage où flottait une odeur bizarre. À première vue, c’était un débarras où l’on reléguait vieux outils et ustensiles de rebut.

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