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— Vous me direz où « elle » est partie ?

— Ma parole contre la vôtre !

— Topez là ! J’accepte !

— Et moi je paie : château d’Urgarrain, non loin d’Ascain. Après le duel, je pousserai la bonté jusqu’à vous y conduire avec armes et bagages : il y a une excellente auberge…

Les deux hommes scellèrent leur accord avec une seconde tournée de café irlandais puis on convint de se retrouver le lendemain à cinq heures du matin devant l’entrée du Carlton.

Anglet se situant entre Bayonne et Biarritz, la distance n’était pas longue. Personne ne parla. Adalbert, qui conduisait – raisonnablement, pour une fois ! –, afin de ménager les nerfs de son passager cachait de son mieux son inquiétude. Il savait Aldo entraîné à plus d’un sport et celui-ci l’avait rassuré en lui confiant que l’escrime ne lui était pas étrangère et qu’il l’avait pratiquée dans sa jeunesse. Il n’en restait pas moins méfiant en vertu de l’adage affirmant que personne n’est plus dangereux qu’un maladroit. Il préférait cependant cette arme au pistolet. Faugier-Lassagne, lui, était proprement terrifié à la pensée qu’appartenant à la bonne société lyonnaise il pourrait être reconnu par un quidam quelconque. Aldo, lui, subissait avec agacement une épreuve qu’il jugeait grotesque sans qu’elle l’inquiétât le moins du monde. Pour lui, c’était du temps perdu ! Rien d’autre ! Et cela à un moment où, à peu près sûr de mettre la main sur les émeraudes de Montezuma, sa pensée s’attachait surtout aux moyens – quels qu’ils fussent ! – de les récupérer. Le tour pendable que lui avait joué la baronne Agathe lui ôtait jusqu’à l’ombre d’un scrupule.

Enfin, on fut à destination.

Construit l’année précédente par un noble espagnol, le château de Brindos, d’architecture mêlant harmonieusement le moderne et le néo-mauresque, reflétait sa blancheur de palais arabe dans un beau lac où glissaient de majestueux cygnes neigeux. Un parc immense planté de pins noirs l’entourait et, dans la lumière encore incertaine du petit matin, il évoquait plus que jamais un château de légende. Les fêtes dont il était le cadre étaient sublimes mais pour le moment il sommeillait…

Aldo et les siens étaient juste à l’heure mais l’adversaire les avait précédés, ainsi qu’il convenait puisque le propriétaire de Brindos était une relation du général. Celui-ci faisant office de directeur du combat, on avait déniché un autre témoin, russe celui-là. On avait délimité le terrain choisi, abrité par un rideau d’arbres et, un peu à l’écart, un médecin préparait, sur une table pliante, les instruments et pansements de premiers secours.

— Dieu, que c’est agréable à contempler par un joli matin de printemps ! grommela Adalbert. En outre, ton adversaire a une tête à claques. Un bon match de boxe eût été plus amusant !

C’était aussi l’avis d’Aldo mais il fallait se contenter de ce qu’on avait… À l’exception de la chemise et du pantalon, les combattants se dévêtirent, ce qui permit à Aldo de constater que le baron affichait une bedaine confortable. Ils se réunirent ensuite avec le directeur qui mesura les épées qu’il avait apportées, donna ses instructions puis recula en ordonnant :

— En garde, Messieurs !

Ce que l’on fit dans les règles séculaires de l’académie duelliste. Chose curieuse, à voir en face de lui cet homme rougeaud qui le regardait d’un air féroce en brandissant sa lardoire, Aldo fut pris d’une soudaine envie de rire. C’était d’un ridicule !…

Les fers venaient de s’engager quand, à sa surprise, il entendit une paisible voix émettre la même opinion. D’un pas tranquille, tenant d’une main la laisse d’un cocker caramel et de l’autre une canne d’affût, une dame d’un certain âge effectuait son apparition. Petite et plutôt ronde, elle n’en avait pas moins l’allure d’une impératrice. Admirablement habillée d’un tailleur gris clair, une cape anglaise en homespun négligemment jetée sur les épaules, une écharpe de soie enveloppant sa tête aux cheveux argentés, la nouvelle venue poursuivait son discours comme si de rien n’était :

— … et quand je dis ridicule, je pèse mes mots. Grotesque serait plus approprié ! Cette scène hors d’âge ressemble à une bouffonnerie !

— Belle-maman ! rugit Waldhaus. Que nous vaut votre présence ? Ceci est une affaire d’hommes et vous n’avez pas à vous mêler de ce qui ne vous regarde pas.

— Ah, vous trouvez ? Ce n’est pas mon sentiment dès l’instant où vous faites bon marché du renom de notre famille en vous livrant à des gesticulations de gamin.

— Il ne s’agit pas de renom mais d’honneur !

— Qu’est-ce que l’honneur vient faire là-dedans ? Je n’en vois aucun à tenter d’éborgner un membre de l’aristocratie européenne, mondialement connu en tant qu’expert en joyaux anciens, sur un vague racontar…

— Un vague racontar ? L’aveu formel par ma femme qu’il est son amant ? Que vous faut-il de plus ?

— La vérité ! Il se trouve que je la connais… Il n’y a pas un mois qu’Agathe a rencontré le prince Morosini dans le train qu’elle a attrapé au vol pour rentrer chez nous le jour où elle vous a quitté. Et je peux vous apprendre qu’il lui a évité de passer sous les roues. Vous devriez le remercier, sans lui, vous seriez veuf !

— C’est elle qui vous l’a dit ?

— Naturellement, et, faites-moi confiance, jamais elle ne s’est avisée de me mentir parce que, après deux ou trois tentatives infructueuses, elle a compris qu’avec moi c’était du temps perdu.

— Alors pourquoi a-t-elle avoué ?… Et devant lui par-dessus le marché ?

— Elle a pensé que cela suffirait à vous faire comprendre qu’elle souhaitait rompre son mariage. Il y a des gens contre lesquels il serait imbécile de lutter. C’est idiot, je vous l’accorde ! Il faut admettre, prince, ajouta-t-elle en s’adressant à Aldo, que ma fille n’est pas très intelligente. Elle doit le tenir de ma belle-mère. Aussi je vous prie de bien vouloir lui pardonner le mauvais tour qu’elle vous a joué. Je pense qu’elle a dû le trouver distrayant…

Aldo ne put s’empêcher de rire. Cette reine du chocolat lui plaisait :

— J’aurais mauvaise grâce à lui en vouloir, Madame, puisque cette… méprise me vaut le plaisir de vous rencontrer. Ce que vous venez de dire est l’absolue vérité : je ne connais guère la baronne Waldhaus et pas depuis longtemps. Quant au dîner que nous avons partagé avant-hier soir, c’était le second, le premier ayant eu lieu dans le Vienne-Bruxelles. Je ne l’ai même pas revue à la descente du train… j’étais pressé. Enfin, nous nous sommes croisés au casino Bellevue où je me détendais avec mon ami Vidal-Pellicorne que voici… Et cela, je vous en donne ma parole de gentilhomme !

Mais elle ne l’entendait plus. Tandis qu’Adalbert la saluait, son visage s’illumina :

— Étes-vous Monsieur Vidal-Pellicorne, l’égyptologue ?

— Ai-je l’honneur d’être connu de vous ?

— Ô combien ! Voyez-vous, l’Égypte est ma passion depuis toujours. J’ai lu vos livres, j’ai suivi vos travaux, mais ma mauvaise chance a voulu que je sois absente de Bruxelles lorsque vous venez donner une conférence ! Ah, vous ne pouvez imaginer à quel point je suis heureuse de cette rencontre ! C’est bien la première fois que les agissements de ce pauvre Eberhardt me valent une bonne surprise ! (Puis, se baissant pour détacher son chien :) Tiens, Cléopâtre, va jouer ! (Après quoi elle glissa son bras sous celui d’Adalbert visiblement ravi.) Faisons quelques pas ensemble !…

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